MigraineGénétique de la migraineGenetics of migraine
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La migraine, une affection fréquente mais difficile à étudier
Suspectée depuis plus de 200 ans, l’existence d’une composante génétique dans la migraine a été démontrée il y a une vingtaine d’année seulement. En effet, les caractéristiques de cette maladie neurologique la rendent difficile à étudier (Ducros et al., 2002). Tout d’abord, une partie de l’agrégation familiale observée pourrait être due au hasard car la migraine a une prévalence voisine de 15 % (Haut et al., 2006). Ensuite, la génétique nécessite d’attribuer à chaque sujet analysé un statut
La migraine hémiplégique familiale, un modèle de migraine avec aura
Les premiers succès en matière de génétique de la migraine ont donc été obtenus dans la MHF, variété rare et autosomique dominante de migraine avec aura (Ophoff et al., 1996, De Fusco et al., 2003, Dichgans et al., 2005). La génétique permet d’identifier assez facilement les gènes responsables de maladies monogéniques. Une seule famille multi-générationnelle comprenant plus ou moins dix sujets affectés est suffisante pour localiser puis identifier le gène responsable. De nouvelles techniques,
Aspects cliniques
Les premières crises apparaissent généralement dans l’enfance ou l’adolescence (Ducros et al., 2001, Jurkat-Rott et al., 2004, Russell et Ducros, 2011). Elles peuvent être déclenchées par le stress, les traumatismes crâniens bénins ou l’effort physique. Elles comportent un déficit moteur d’intensité variable associé à un ou plusieurs autres symptômes progressifs et successifs, volontiers dans l’ordre : troubles visuels, troubles sensitifs, déficit moteur puis troubles du langage (Ducros et al.,
MHF de type 1
La MHF1 (MIM 301011) est due à des mutations du gène CACNA1A qui code la sous-unité principale des canaux calciques voltage-dépendant neuronaux CaV2.1 ou canaux P/Q (Ophoff et al., 1996). Ces canaux contrôlent la libération de neurotransmetteurs, en particulier de glutamate, et l’excitabilité neuronale. Ils sont moins impliqués dans la neurotransmission inhibitrice par libération de GABA.
Différentes mutations de CACNA1A sont associées à un large panel de maladies neurologiques. Dans la MHF1,
MHF de type 2
La MHF2 (MIM 182340) est due à des mutations du gène ATP1A2, codant la sous-unité α2 de la pompe Na+/K+ transmembranaire A1A2 dépendante de l’ATP (α2 Na+/K+-ATPase) qui intervient dans le maintient d’un fort gradient sodique, nécessaire à la recapture des acides-aminés (dont le glutamate) à partir de la fente synaptique (De Fusco et al., 2003). Chez les nouveau-nés, la sous-unité α2 a une expression neuronale. Chez l’adulte, l’expression prédomine dans les cellules gliales. Des mutations d’
MHF de type 3
La MHF3 (MIM 182389) est due à des mutations du gène SCN1A qui code la sous-unité α1, formant le pore, du canal sodique NaV1.1 (Dichgans et al., 2005). Ce canal neuronal voltage-dépendant intervient dans la genèse et la propagation des potentiels d’actions des neurones corticaux, surtout inhibiteurs. SCN1A est un gène de l’épilepsie avec plus de 100 mutations identifiées dans diverses formes d’épilepsies infantiles (Mulley et al., 2005). Seules cinq familles de MHF3 avec cinq mutations de SCN1A
MHF de type 4
La MHF4 est due à des mutations du gène PRRT2 qui code la protéine PRRT2 ou proline rich transmembrane 2 (Cloarec et al., 2012, Dale et al., 2012, Gardiner et al., 2012, Marini et al., 2012, Riant et al., 2012). PRRT2 est le gène majeur de plusieurs affections neurologiques paroxystiques familiales ou sporadiques : la dyskinésie paroxystique kinésigénique primaire (PKD, MIM 128200) (Chen et al., 2011, Wang et al., 2011), l’épilepsie infantile familiale bénigne (BFIE, MIM 605751) (Schubert et
Mécanismes communs de la MHF
La sensibilité à la dépression corticale envahissante (DCE) pourrait être le dénominateur commun des crises de MHF (Moskowitz et al., 2004). Cette hypersensibilité à la DCE est démontrée dans les modèles murins de MHF1 et de MHF2 (Eikermann-Haerter et al., 2009, Leo et al., 2011), et reste à démontrer dans la MHF3 et la MHF4. Les mutations des quatre gènes, dont deux canaux ioniques neuronaux, une pompe ionique gliale, et une protéine présynaptique pourraient avoir les mêmes conséquences : une
Corrélations génotype-phénotype dans la migraine hémiplégique
Le gène muté influence plus les manifestations associées aux crises de MH que les crises elles-mêmes, qui sont remarquablement similaires chez les porteurs de mutation des quatre gènes (Russell et Ducros, 2011). Les crises sévères avec coma sont fréquentes dans la MHF1, possibles dans la MHF2 et n’ont pas été décrites dans la MHF3 et la MHF4. L’ataxie cérébelleuse est fréquente dans la MHF1 et n’est pas observée dans les autres formes, bien qu’une « note » cérébelleuse discrète ait été
Implication des gènes connus dans la migraine hémiplégique
Dans les formes familiales, CACNA1A (MHF1) et ATP1A2 (MHF2) sont les gènes le plus souvent mutés. Dans les larges familles multi-générationnelles, CACNA1A est impliqué dans 40 à 50 % des cas et dans la quasi-totalité des familles atteintes de MH avec signes cérébelleux, ATP1A2 est impliqué dans environ 20 % des familles (Russell et Ducros, 2011). Dans les cas issus de familles plus petites et adressés pour diagnostic génétique, ATP1A2 semble tout autant impliqué que CACNA1A (de Vries et al.,
Stratégies de gènes candidats dans la migraine
Cette stratégie a été très utilisée dans les variétés fréquentes de migraine : migraine sans aura (MSA) et migraine avec aura typique (MA), générant un nombre considérable de publications, mais peu de résultats bien clairs. Dans ces approches, un gène est candidat lorsque certains arguments suggèrent son implication dans la physiopathologie de la maladie considérée et lorsqu’il contient un marqueur génétique polymorphe (i.e. une variation de séquence) analysable. La fréquence des allèles du
Candidats canaux ioniques
Diverses études suggèrent que les gènes de la MHF1 et de la MHF2 (CACNA1A et ATP1A2) ne sont pas impliqués dans la MA typique et dans la MSA (de Vries et al., 2009). En effet, ces gènes sont responsables des phénotypes les plus sévères de MHF, avec une pénétrance élevée, et par conséquent de larges familles facilement repérables et analysables. Les nouveaux gènes de la MHF, responsables de MHF « pure » sans autre manifestation neurologique, et fréquemment associée à des crises de MA typique,
Candidats sérotoninergiques
Les gènes impliqués dans le système sérotoninergique ont été largement étudiés car la sérotonine est considérée comme un acteur clé de la migraine (Hamel, 2007). Après sa libération axonale, la sérotonine (5-HT) est captée rapidement par le transporteur présynaptique 5-HTT codé par le gène SLC6A4. Le promoteur de ce gène contient un polymorphisme de type insertion/délétion appelé 5-HTTLPR connu pour avoir des conséquences fonctionnelles sur la recapture de la sérotonine. Pas moins de dix études
Candidats dopaminergiques
La dopamine est considérée comme importante dans la physiopathologie de la migraine sur la base d’arguments cliniques (bâillements lors des prodromes, nausées lors des crises), thérapeutiques (effets de certains antidopaminergiques sur les crises) et expérimentaux (modulation de l’activité neuronale du complexe trigémino-cervical par la dopamine) (Akerman et Goadsby, 2007). Diverses études d’association ont ciblé les gènes codant les récepteurs à la dopamine ou la dopamine bêta-hydroxylase,
Candidats cytokines
Des polymorphismes des gènes du TNF-alpha (tumor necrosis factor-alpha) et du TNF-beta ont été étudiés, car ces gènes codent des cytokines inflammatoires et l’inflammation neurogène est un des mécanismes impliqués dans la céphalée migraineuse. Plus de dix études ont été publiées, mais l’analyse combinée des plus solides ne montre pas d’association entre ces polymorphismes et la migraine (Schurks et al., 2011).
Candidats hormonaux
Sur la base de la prépondérance féminine de la migraine et du rôle des facteurs hormonaux dans la survenue des crises, de nombreuses études ont concerné les gènes des récepteurs hormonaux (Colson et al., 2006). Une analyse combinée suggère que les polymorphismes 594 G > A et 325 C > G du gène du récepteur aux estrogènes ESR-1 peuvent modifier le risque de migraine, sans différence entre MSA et MA (Schurks et al., 2010b). D’autres polymorphismes du gène ESR-1 et du gène du récepteur à la
Candidats endothéliaux
Certains arguments suggèrent l’existence d’une dysfonction endothéliale chez les migraineux, causée par un stress oxydatif (Tietjen, 2007, Shyti et al., 2011). Des polymorphismes du gène de la méthylène-tétra-hydrofolate réductase (MTHFR 677 C > T) et du gène de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE D/I) sont connus pour contribuer au stress oxydatif vasculaire, et ont donc été testés dans la migraine (Tietjen, 2007, Shyti et al., 2011). Ces deux polymorphismes ont des conséquences
Stratégies pangénomiques
Ces approches partent du principe qu’il existe un ou plusieurs intervalles génétiques et/ou un ou plusieurs gènes associés au phénotype étudié. Le génome entier est exploré grâce à des marqueurs polymorphes distribués sur tous les chromosomes, sans formuler d’hypothèse sur la nature des gènes potentiellement impliqués. Le phénotype étudié peut être la migraine globale (i.e. sans aura et avec aura), la migraine sans aura, la migraine avec aura ou encore un trait phénotypique particulier des
Analyse de liaison dans des familles de migraineux
De nombreux loci de susceptibilité ont été identifiés pour la migraine (sans et avec aura) sur les chromosomes Xq24-28 (Nyholt et al., 2000, Cader et al., 2003, Maher et al., 2012), 6p12.2-21.1 (Carlsson et al., 2002), 19p13 (Nyholt et al., 1998), et 1q31 (Lea et al., 2002) ; pour la migraine avec aura sur les chromosomes 4q24 (Wessman et al., 2002), 9q21-q22 (Deprez et al., 2007), 11q24 (Cader et al., 2003) et 15q11-13 (Russo et al., 2005) ; et pour la migraine sans aura sur les chromosomes
Analyse de liaison avec de nouvelles méthodes de phénotypage
Dans ces nouvelles approches par symptômes, le statut « affecté » n’est plus la migraine elle-même. La technique de « trait component analysis » analyse séparément différents traits phénotypiques des crises : par exemple la pulsatilité ou l’unilatéralité de la céphalée (Anttila et al., 2006). La technique de « latent class analysis » classe les sujets affectés selon la sévérité de leur maladie (par exemple asymptomatiques en classe 0, céphalées épisodiques non migraineuses en classe 1,
Les études d’association pangénomique ou genome-wide association studies
La migraine est entrée tardivement dans l’aire des GWAS, ces études d’association qui analysent une multitude de polymorphismes répartis sur le génome entier dans de très larges cohortes de migraineux (> 2000) et de non migraineux (Schurks, 2012). Encore une fois, les résultats dépendent de la qualité de phénotypage des patients mais aussi des contrôles. Une GWAS comprend une étape de découverte sur une première cohorte cas/témoins puis une étape de confirmation (ou réplication) sur une deuxième
Première genome-wide association studies : rs1835740 sur le chromosome 8q22.1
La première GWAS dans la migraine a été publiée en 2010 par le « International Headache Genetics Consortium » (IHGC) (Anttila et al., 2010). Sept cohortes de migraineux ont été collectées par des centres spécialisés. Les diagnostics ont été faits par des experts, par questionnaires et interrogatoires directs, selon les critères de l’ICHD-2. Quatre sous-groupes ont été analysés : migraine globale, MA pure, MA et MSA, et MSA pure. Des centaines de milliers de marqueurs génétiques ont été analysés
Deuxième genome-wide association studies : négative
La deuxième GWAS a été publiée en 2011 par un consortium Néerlando-Islandais (Ligthart et al., 2011). Le panel de découverte concernait six cohortes cas/témoins issues de la population générale néerlandaise (cinq cohortes) et islandaise (un cohorte), totalisant 2446 migraineux et 8534 contrôles. Le panel de réplication comprenait deux cohortes en population générale néerlandaise et une étude de jumeaux australiens totalisant 2957 migraineux et 5774 témoins. Les diagnostics étaient faits par
Troisième GWAS : trois nouveaux loci
La troisième GWAS a été publié en 2011. Elle a concerné trois cohortes cas/témoins issues de la population générale (Chasman et al., 2011) : la Women's Genome Health Study (WGHS), l’étude Epidemiology of Migraine (GEM), et la Study of Health in Pomerania (SHIP), et une cohorte cas/témoins du IHGC. Le panel de découverte (WGHS) comprenait 23 230 femmes d’ascendances européennes, dont 5122 femmes s’étaient déclarées migraineuses par questionnaires et 18 108 non migraineuses. Aucun marqueur n’a
Quatrième GWAS : deux nouveaux loci dans la migraine sans aura
Dans cette GWAS publiée en 2012, le panel de découverte comprenait deux cohortes recrutées en centres spécialisées totalisant 2326 migraineux sans aura et 4580 contrôles (Freilinger et al., 2012). Aucun marqueur n’a atteint le seuil de significativité pangénomique. Les douze loci ayant atteint les seuils de significativité les plus élevés ont été analysés dans le panel de réplication et six loci ont été confirmés à des degrés divers. L’association entre la migraine sans aura et deux loci
Conclusions
Loin d’être un modèle simple, la MHF est caractérisée par une grande variabilité clinique et une grande hétérogénéité génétique. Découvrir que les trois premiers gènes de la migraine hémiplégique familiale codaient des transporteurs ioniques a constitué une étape capitale dans la compréhension des mécanismes de la migraine. L’étude des modèles cellulaires et animaux de MHF1 et MHF2 a montré que les mutations d’un canal calcique neuronal et d’une pompe gliale entraînaient une hyperexcitabilité
Déclaration d’intérêts
A. Ducros déclare avoir perçu des honoraires pour conférence de Almirall, Merck, Pfizer.
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